Invitation faite dans le cadre du programme de recherche “You Don’t Need to Be a Voice for the Voiceless. Just Pass the Mic” mené par la plateforme de recherche Pratiques d’hospitalité en partenariat avec le CCN2 – Centre Chorégraphique National de Grenoble
Rana Hamadeh est une performeuse et plasticienne libanaise actuellement basée au Pays Bas. Elle développe chacun de ses projets artistiques de manière incrémentale sur de longue période, en s’appuyant sur une approche curatoriale et discursive. Ses projets récents réfléchissent sur les infrastructures de la justice en les mettant en rapport avec les histoires et manifestations présentes de la colonialité. Ses enquêtes qui associent lectures littéraires, théoriques et recherches historiques approfondissent toujours des concepts et des termes spécifiques, afin d’aborder le domaine de la théorie comme une fiction et de le mettre en relation avec d’autres formes culturelles, comme l’écriture dramaturgique et performative.
Son projet le plus récent, The Ten Murders of Josephine (2017) s’inscrit dans le genre du théâtre légal et propose de questionner l’accès au Théâtre et à sa nature à partir du domaine juridique. Rana y explore en particulier la notion de testimonial subjecthood (subjectivité témoin) qui, contrairement au discours articulé de la déposition (testimony) considéré comme cohérent et valide par l’espace juridique, s’appuie sur l’absence et la matérialité de la voix du témoignage. Témoigner devant un tribunal nécessite d’adhérer au langage de la loi, ce qui revient à dire que le plaintif participe toujours à un acte de traduction “injuste”. L’activation du testimonial rompt radicalement avec ce discours rationalisé et pointe ce qui n’est pas énoncé en faisant remontée l’archive effacée de la violence coloniale, raciale, patriarcale, capitaliste qui se matérialise comme un monument d’un discours absent.
Dans le cadre de ce workshop qui mélange travail théorique, corporel et expérimentation sonore, Rana Hamadeh propose d’interroger la notion de justice et son éthique à partir d’un questionnement sur la socialité performative de la dette , conçue et mise en place comme un vrai mécanisme de capture du sujet dans le capitalisme financiarisé. En proposant une exploration théorique et matérielle des pratiques de la traduction, de la textualité et de l’hyper-textualité, de la générosité, le l’hospitalité, de l’amour queer et du plaisir, il s’agit de se demander si le système de la dette contemporaine est le motif ontologique de la Justice qui ne serait alors qu’une extension de l’injustice, à savoir un espace de dramatisation et de naturalisation des injonctions de pouvoir.
Pendant le workshop, les participant.e.s exploreront les questions suivantes: pouvons-nous imaginer d’autre dispositif que celui de cette “Justice de la dette”? La seule possibilité de se soustraire à cette injustice institutionnalisée est-elle de “devenir injuste” aux yeux de la Justice même?
La réflexion prendra pour point de départ l’article “Debt and Study” de Stefano Harney et Fred Moten dans lequel la notion de justice est redéfinie comme un espace où il n’est jamais demandé au débiteur de rembourser ses crédits, mais où au contraire celui-ci cherche refuge auprès d’autres débiteurs. La dette économique s’étend ainsi dans toutes les directions, se disperse, s’échappe, cherche refuge et pousse le débiteur à s’endetter avec ses créanciers. Comme Harney et Moten l’expliquent dans The Undercommons: Fugitive Planning & Black Study: “Le lieu du refuge est le lieu où tu ne peux que devoir de plus en plus parce que le créancier n’existe pas et qu’il n’y a pas de paiement possible”.