Lauréat de l’appel à projets de la Maison de la Création de Grenoble, le projet de résidence de Núria Güell est une collaboration entre l’équipe de recherche F.A.M.M.E de l’UMR PACTE – Université Grenoble Alpes (Anne-Laure Amilhat-Szary et Sarah Mekdjian) et la plateforme de recherche « Pratiques d’hospitalité » de l’Ecole Supérieure d’Art e de Design de Grenoble (Simone Frangi et Katia Schneller).
Le travail de l’artiste Núria Güell reformule et traite des limites de la légalité. Il analyse l’éthique pratiquée par les institutions qui nous gouverne afin de détecter les abus de pouvoir commis par la légalité établies et le moralisme hégémonique.
Le projet développé pendant la résidence vise à élaborer un programme pédagogique de désobéissance légale destiné aux étudiants de premier cycle de l’IUT2 Carrières Sociales de l’Université Grenoble – Alpes et de l’Institut de Formation en Travail Social de Échirolles (Grenoble). Son objectif sera de reconsidérer d’un point de vue légal et moral les contradictions inhérentes au concept d’hospitalité, qui affectent aussi bien l’activité des travailleurs sociaux et des pratiques artistiques socialement engagées.
Dans son texte sur l’hospitalité Derrida distingue deux types d’hospitalité. La première, l’hospitalité « conditionnelle », assujettit l’Autre aux lois de l’hôte, tandis que la seconde, l’hospitalité « inconditionnelle », n’exige aucune forme de contrat. Dans le cadre de cette dernière que le philosophe qualifie d’utopique, l’Autre n’a pas besoin d’être invité : qui que ce soit se voit offrir un abris où que ce soit. À l’aune de cette description, on peut se demander dans quelle mesure la communauté européenne est hospitalière, quand « les lois de l’hôte » sont conçues pour rejeter et faire disparaître toutes formes d’hétérogénéité. Au cours des dernières années, le contrôle migratoire et les politiques d’accueil ont mis en échec le projet européen. La préservation de son modèle de libre circulation a donné lieu à l’instauration d’un système de gestion de l’Autre fondé sur des lois et des pratiques administratives préjudiciables, institutionnalisant un racisme et une situation d’infériorisation des populations migrantes. Le statut hégémonique de la loi et de la moralité s’établit grâce à une dynamique d’imposition et non d’argumentation, exprimant la volonté de pouvoir. Comme l’histoire récente nous l’a enseigné, les plus grands crimes ne s’accomplissent que s’ils sont légaux et disposent de l’assistance d’un corps officiel voulant faire appliquer la loi sans la réfléchir.
Comment peut-on faire appel à la loi quand l’Etat use de son autorité de manière capricieuse et tyrannique ? La justice sociale peut-elle s’incarner dans la pratique de la désobéissance ? Quel est le cadre épistémologique de la normativité européenne ? Quelles sont les responsabilités qui nous incombent pour bénéficier des privilèges attenants à la nationalité ? Comment peut-on les activer sans tomber dans le paternalisme et se placer dans une position de supériorité ? Comme éviter les relations hiérarchiques au nom de l’hospitalité ? La solidarité est-elle une pratique à sens unique développée par des privilégiés, ou peut-elle être un processus multidimensionnel contribuant à l’émancipation de toutes les personnes qu’elle rassemble ? Comment peut-on éviter de transformer, dans un système de contrôle de l’immigration, une communauté rebelle en simples prétendants aux aides de l’Etat ? Où se situe la frontière entre solidarité et charité ?
Le processus de travail imposera une négociation de l’espace de production artistique avec des collaborateurs en situation de demande d’asile à Grenoble et apparaît comme une plateforme et un espace de médiation pour l’élaboration de nouveaux récits de l’expérience de migration et de rejet politique.