« « Leurs regards qui fusillent… » Résister à la captation coloniale, libérer la polyphonie des images »
En 1934, un décret français du ministre des colonies légifère et contrôle la prise de l’image et du son en Afrique colonisée. Toujours en vigueur jusqu’à l’indépendance algérienne, cette emprise sur la représentation est remise en question par des œuvres en résistance pendant et après la colonisation. Dans ce contexte, l’image se mue en champ de bataille. Cette conférence se propose d’arpenter des espaces de résistance à la domination coloniale à travers des productions artistiques qui interrogent le poids des institutions et des assignations visuelles héritées de la colonisation. Toutes portent, au présent de leurs réalisations, une critique qui résonne avec des enjeux sociaux et politiques tout à fait contemporains. À l’appui d’un film de 1982 d’Assia Djebar, La Zerda et les chants de l’oubli (1982) et de la récente exposition de Dalila Mahdjoub – « Ils ont fait de nous du cinéma / دارو بينا سينيما », Marseille, 2024 – , des propositions visuelles nous engagent à interroger la notion de droit de regards (Derrida – 1985, Mirzoeff – 2011) par des prises de paroles en résistance, avec et contre l’image. De la guerre d’indépendance algérienne à la question de l’émancipation de la captation coloniale, ces œuvres creusent des sillons comme autant de voies possibles pour penser des imaginaires émancipés au(x) présent(s). Résistant à la persistance de la visualité coloniale, elles se confrontent, percutent, si ce n’est transcendent, la violence des silences de l’Histoire. Par et tout contre la puissance de l’image, des voix de l’émancipation surgissent alors de la pénombre de la chambre noire, pour faire advenir d’autres récits, d’autres imaginaires, traversant des écrans blancs de projection trop longtemps portés en héritage.
Emilie Goudal est historienne de l’art et professeure junior à l’Université de Lille. Titulaire de la chaire « Imaginaires émancipés » au Centre d’étude des arts contemporains (CEAC), ses recherches portent sur les interpénétrations entre arts, socio-histoire, politique et enjeux de mémoire(s) depuis le contexte de la décolonisation. Elle est l’autrice de Des Damné(e)s de l’Histoire – Les arts visuels face à la guerre d’Algérie (Les Presses du réel, 2019) et co-commissaire, avec Natasa Petresin Bachelez, de l’exposition Ces voix qui m’assiègent…, Cité internationale des arts, Paris, 2024.