Cette exposition est le fruit d’un partenariat entre la plateforme de recherche Pratiques d’hospitalité et le Centre d’art Bastille. Elle présente le projet développé lors du workshop et de la résidence de recherche de Pierre Michelon à l’ESAD – Grenoble, menée en collaboration avec Edgar Tom Stockton.
Wilate’e est le nom, en langue teko (du peuple Tekos, l’une des nations autochtones de Guyane), d’un petit oiseau polyglotte qui vit sur le plateau des Guyanes. Vanmélé est un mot de langue créole guyanaise qui désigne celui ou celle que les vents ont apporté.e, ont constitué.e. Ce mot nous est précieux en tant qu’il ouvre une poétique, un rapport à « l’étranger » déjouant toute interprétation xénophobe… En invitant ces mots dans nos mondes, Wilate’e & vanmélé.e.s se veut à la fois un lieu d’accueil et une fabrique artistique, politique et historique.
« Là où ils ont fait le vide et le silence, ils appellent cela la paix » est une traduction de Tacite, qui cherchait lui-même à retranscrire le discours de Calgacos, chef des Calédoniens, en 83 : « Ubi solitudinem faciunt, pacem appellent ». Cette parole est citée par l’historien Louis-José Barbançon dans « La Conférence de Louis-José Barbançon sur les déportations politiques » (Mwà Véé, Revue culturelle kanak, n°51, 2006, p.51) : de la Calédonie à la « Nouvelle-Calédonie », Louis‑José Barbançon fait ici un clin d’œil… La traduction vers l’arabe a été réalisée par Salem Khchoum. Elle signifierait, en français, « là où leurs cœurs étaient distraits et leurs langues nouées » — cœur en arabe veut dire âme, esprit, mémoire, raison, pensée, etc. Pour traduire cette idée en kanak, Jean-Pierre Weneguei a suggéré « Bô ka’at ». Ce terme, de langue Iaai (une des langues kanak), représente un lieu solennellement isolé, où l’on fait le vide, où l’on médite. Il signifie précisément « Rêver vers l’être ». En Kanaky, tous les lieux de déportations sont devenus des Bô ka’at. Tous sans exception. Bô ka’at désigne un lieu où des conflits sanglants se sont déroulés dans un passé précolonial. Quant à la langue kabyle : « Ir’ab it’idj netsouali » est un extrait d’une chanson de Smâïl Azikkiou : « Ali Ou Qassi » (Ali Ou Qassi est un des condamnés déportés suite aux insurrections de 1871. Il a été amnistié en 1893 et est retourné en Kabylie). Plusieurs chansons de Smâïl Azikkiou ont été éditées, et traduites par J.-D. Luciani, chez Revue africaine, en 1899. Ce recueil nous a été communiqué par Abdelhak Lahlou. « Ir’ab it’idj netsouali » signifie « notre soleil a disparu ».
Wilate’e & vanmélé.e.s est la fabrication en cours d’une carte sensible constituée de films et d’archives (écrites, orales, visuelles, et traduites dans les langues concernées), à propos des déportations politiques perpétuées au sein de l’empire colonial français. Elle s’intéresse plus particulièrement aux rencontres qui ont pu avoir lieu ou non, entre différent.e.s insurgé.e.s/condamné.e.s durant leurs incarcérations et déportations respectives, et aux moyens déployés pour exprimer ces histoires.
Initiée par Pierre Michelon en collaboration avec Edgar Tom Stockton, cette fabrique a réuni historien.ne.s, militant.e.s, théoricien.ne.s, géographes, linguistes, artistes, poètes, témoins, enfants et petits-enfants de condamné.e.s. Elle produit des relations qui varient selon les contextes historiques évoqués, mais aussi selon les contextes de ses chantiers et de ses présentations. À Grenoble, elle a réuni Anne-Laure Amilhat Szary, Katia Schneller, Sacha Bertrand, Danaïde Lacour, Anna Diallo, Adrien Lasseigne, Pierre Michelon, Salem Khchoum, Marie Moreau, Julie Martin‑Cabétich, Alitché Trotier, Thomas Martin, Joseph Mignot, Jean-Pierre Weneguei, Julie Pourchet, Simone Frangi, Kicsy Abreu Stable, Sarah Mekdjian, Owino Stockton, Baptiste Pruneta. La fabrique est ouverte et non exhaustive, des correspondances sont en cours.
C’est pour cette raison que nous avons choisi un format d’exposition évolutif, réparti en 3 chapitres :
— 1) Timidement à la lisière de la forêt le 20 février 2016 (vernissage)
— 2) À l’écoute des échos le 05 mars 2016
— 3) Murmurer en concert avec les langages inconnus le 19 mars 2016
Jusqu’ici, les récits que nous avons parcourus sont des bribes : des petits bouts de recherche et d’archives que nous avons pu rassembler dans un temps bref, avec nos moyens et nos lieux de vie respectifs. De nombreuses études historiques nous précèdent dans l’étude de ce nœud historique (publications, conférences, colloques, expositions). Que chacune et chacun de ses auteur.e.s soient ici chaleureusement remercié.e.s, et surtout quand ils ou elles — paysages confondus — ont permis à de plus jeunes générations d’accéder à ces récits.
La playlist autour de Louise Michel peut être écoutée ici.
Pour plus d’informations sur l’exposition, voir ici.