Cette résidence a été menée en partenariat avec le Centre d’art Bastille.
De Guyane française, de Kanaky, d’Algérie ou de France des voix s’élèvent, celles des condamné.e.s politiques déporté.e.s par la puissance coloniale face à laquelle ils ou elles tentaient de faire front. Une histoire méconnue se dévoile et se construit : elle mêle des espaces géographiques et des destins multiples ; des idéologies et des contextes de luttes qui se rencontrent, s’associent ou s’opposent ; des correspondances clandestines, acheminées ou non ; des « travaux » forcés, des évasions ou des disparitions. C’est un passé commun, un passé traduit et pluriel. C’est écrire ou parler l’histoire de la violence. C’est le dessus-dessous des paysages, c’est le cri des archives, le cri des anticolonialistes et des morceaux de bois.
Réunir ces récits et ces voix formerait une fable politique intitulée : vanmélé [Vanmélé est un mot de langue créole guyanais que l’on ne peut traduire par “étranger”, mais par une poétique qui déjoue le xénophobe : celui ou celle que les vent ont apporté.e, ont constitué.e]. Notre fable se construira avec celles et ceux qui se souviennent. Quelques enfants de condamné.e.s, quand ils le peuvent, quand ils le veulent, évoquent la mémoire de leurs parents déportés ; d’autres militant.e.s parlent de leurs luttes au présent de l’indicatif, depuis « l’outre-mer ». Cette fable serait le montage d’un film inachevable, ce serait un film qui prononcerait — conditionnel — une histoire des décolonisations, telles qu’elles n’ont pas pu être, telles qu’elles ne sont pas encore.
Avec ces films et ces montages, j’aimerais que se dessine une cartographie dans laquelle différentes luttes convergent, une carte imaginaire où l’on fait l’expérience du commun, où l’on fabrique une esthétique à la fois historique et politique, une esthétique de la non‑séparation. Il s’agira peut-être d’expérimenter des outils pour « choisir notre passé* » et acquérir une autonomie vis‑à-vis de l’autorité nationale et des récits — mémoriels et juridiques — qu’elle impose*. Ces outils produisent des formes et des pratiques : à l’écoute de voix polyglottes (historien.ne.s, militant.e.s, poètes, témoins, enfants et petits‑enfants réuni.e.s) ; à l’écoute de savoirs historiques, en leur donnant un usage, en faisant passer un récit d’une langue à une autre, en regénérant ou en fabriquant des archives, en écrivant une lettre clandestine, en chantant devant les murs des prisons, etc.
Pour le workshop et la résidence que nous allons mener ensemble nous pourrions fabriquer le premier chapitre d’une recherche que je viens de commencer. Il s’agit d’un « noeud » historique qui concerne à la fois l’imaginaire français, algérien et kanak. Ce noeud a éclaté dans les années 1870’ lorsque les insurrections des communards et des kabyles furent violemment réprimés. Beaucoup furent assassinés, d’autres déportés en « Nouvelle-Calédonie », où ils rencontrèrent une des plus grandes insurrections kanak, en 1878. Construire cette histoire, selon la politologue Françoise Vergès, ce serait énoncer la généralisation d’une dépossession : la dépossession de notre passé, mais aussi et surtout la dépossession de nos terres, de notre paysage.
Une solidarité politique, anticoloniale, a-t-elle pu naître en Kanaky ? Comment construire ce récit ? J’ai commencé à glaner différents matériaux, des images, des enregistrements sonores*, des archives, ainsi qu’un premier montage d’un film en construction : « Amara* » qui documente les recherches effectuées par Fouad Mennana et moi-même pour retrouver l’histoire de son grand-père, Amara Mennana, un paysan exproprié de ses terres et déporté en 1925 depuis l’Algérie vers les bagnes de la Guyane française.