Karrabing Film Collective (fondé en 2012) est un collectif australien (Territoire du Nord) et composé d’une trentaine de cinéastes autochtones de toutes générations. Ils abordent le cinéma comme un mode d’auto-organisation et un moyen d’enquêter sur les conditions sociales contemporaines d’inégalité. Leur corpus cinématographique réanime un assemblage complexe de pratiques et d’échelles de relations : à la terre, à la géologie, aux ancêtres, à la vie humaine et non-humaine, ainsi qu’à la culture visuelle. Elizabeth Povinelli, professeure d’anthropologie et d’études de genre à l’Université de Columbia (New York), fait partie du collectif depuis de longues années. Ensemble, iels ont inventé un espace cinématographique unique et baroque, jouant habilement de la satire et déjouant l’Histoire officielle et les lois de l’État australien pour défendre leur identité, revendiquer leurs droits et la puissance de leur imaginaire. Grâce au langage artistique inventif du collectif, leur travail remet en question les structures historiques et contemporaines du pouvoir des colons. La plupart des membres du collectif vivent dans des communautés autochtones rurales de l’arrière-pays australien avec des revenus faibles ou nuls. Les films représentent leur vie et, par le biais du processus, créent des liens avec leur terre tout en intervenant dans les images mondiales de l’indigénéité.
The Mermaids or Aiden in Wonderland (26,29’’, vidéo, 2018), de Karrabing Film Collective, est une exploration surréaliste de la contamination toxique occidentale, du capitalisme et de la vie humaine et non humaine. Situé dans un paysage terrestre et marin empoisonné par le capitalisme où seuls les aborigènes peuvent survivre de longues périodes en plein air, le film raconte l’histoire d’un jeune homme indigène, Aiden, emmené alors qu’il n’était qu’un bébé pour participer à une expérience médicale visant à sauver la race blanche. Il est ensuite relâché dans le monde auprès de sa famille. Alors qu’il voyage avec son père et son frère à travers le paysage, il est confronté à deux futurs et passés possibles incarnés par sa propre histoire et les récits opportuns des industries chimiques et extractives multinationales. La nature psychédélique et fragmentée du film reflète la violence insidieuse et rampante de la toxicité qui corrompt la psychologie de ceux qui sont structurellement, économiquement et politiquement déplacés. En tant qu’Aiden, un étranger sur sa propre terre est réinséré dans l’existence ; il se familiarise avec la nature territoriale et le folklore – des sirènes, une abeille, un cacatoès – suscitant une interrogation pertinente sur les vies de qui et de quoi il s’agit.